Certainement inspiré de la technologie présentée lors de l'exposition univerelle de Paris en 1889, un jeune ingénieur P. MARTIN mit au service de son village sa science, sa technique, sa fortune, et finalement sa vie. Son projet était d’alimenter La Motte Chalancon en courant électrique
A 300m en amont de la future usine, il construisit un barrage, presque naturel grâce aux énormes rochers qui barraient la rivière d’Oule au quartier du lac. Une martelière à crémaillère réglait le débit de l’eau, qui pénétrait dans le canal en maçonnerie long de 80m. Au bout de ce canal une vanne de fond reconduisait à la rivière les graviers et impuretés. Après cette vanne, un canal creusé dans la terre amener l’eau dans une écluse (ou chambre d’eau) situé au dessus de la turbine en bronze, qui, elle, était placée à 7 m de profondeur. Par un arbre vertical, puis horizontal, la turbine transmettait le mouvement à un alternateur de 2000 volts, à une excitatrice courant continue et éventuellement à une pompe. Dans la salle des machines, un grand tableau supportait les voltmètres, ampèremètres, interrupteurs, coupe-circuit, rhéostat et aussi un petit transformateur 2000-110 volts pour l’éclairage de l’usine et du canal : 4 lampes aux endroits principaux. Un gardien logeait dans l’usine pour en assurer la conduite et la maintenance.
L’ingénieur qui voulait assurer une distribution parfaitement régulière du courant électrique, avait fait creuser un bassin à flan de coteau (avec 50m de dénivellation par rapport à l’usine). En période sèche la turbine actionnait une pompe qui montait l’eau de l’écluse dans le bassin pendant la journée. Aux heures de pointes de consommation, l’eau de ce bassin était utilisée pour faire tourner une deuxième turbine qui accouplée à la principale, donnait la puissance nécessaire.
Le réseau de l’usine électrique suivait la route et le courant 2000 volt était transformé en 110 volts dans le village de La Motte.
Telle fut l’œuvre gigantesque et téméraire entreprise par un homme exceptionnel.
Sur le livre de bord de l’usine on peut lire :
« 9 juillet 1893. Mise en marche de la station vers 3 heure de l’après-midi. Envoi du courant sur La Motte à 9 heure du soir et jusqu'à minuit un grand banquet eut lieu pour l’inauguration. Le repas fut servi place du bourg par les divers hôtels du village, une passerelle fut jetée sur l’Aiguebelle pour faciliter le service.
15 mai 1895. Horrible accident : l’ingénieur broyé par la courroie de l’excitatrice à 6 heures 15 du soir. Les machines restèrent muettes jusqu’au 20 mai 1895.
21 mai 1895. Mise en route à 7 heure du soir grâce à son dévoué conducteur».
Et La Motte fut toujours éclairé depuis. M. Louis BRUGIERE ayant repris l’usine à son compte les premières années furent difficiles sur le plan financier, car les dépenses étaient à peu prés le double des recettes. Le premier mois d’exploitation avait laissé un déficit de 23 Francs (37 Francs de recettes ; 60 Francs pour le salaire du conducteur).
Il fallut vaincre au début beaucoup de réticences… Mais le nombre d’abonnés augmenta d’année en année :
1895 : 37 abonnés (alors que la commune comptait 300 foyers)
1900 : 110
1904 : 179
1910 : 220
Les abonnements étaient souscrits à l’ampoule (50 centimes de francs par ampoule et par mois), un système permettait de basculer l’éclairage d’une pièce vers l’autre et de ne payer ainsi qu’un seul abonnement. Pour l’éclairage public, les lampes à filaments de carbone de 16 « bougies » étaient fixées sous des abats-jour en tôle-émaillée accrochés à des potences en forme de lyre disposées sur les fontaines ou les façades.
Après la guerre de 1914-1918, le nombre d’abonnés étant toujours croissant, il fallut mettre des alternateurs plus puissants, renforcer le réseau, d’autan que l’éclairage fut cette fois distribué, non plus jusqu'à minuit comme auparavant, mais jusqu’au lever du soleil. Quelques années plus tard le courant électrique fut fourni toute la journée ; une dizaine de petits moteurs pouvaient tourner 24h sur 24h., dont ceux des boulangers, et scieurs... En période d’été un moteur industriel aidait la turbine et en 1932 nous avons commencé une deuxième usine qui, avec une chute supérieure (9 m) pouvait fournir 15 CV de plus que l’ancienne, soit 50 CV. Un régulateur automatique allégeait considérablement le travail de surveillance en supprimant la manœuvre manuelle. Cette usine fut mise en service en 1935.
En 1936 le projet d’électrification générale des villages de nos montagnes n’allait pas tarder à sonner le glas de la petite usine de La Motte. Mais grâce à l’efficacité de la deuxième usine et aux bonnes relations avec l’ingénieur de la société chargé de l’électrification, l’usine de La Motte a continué de fonctionner jusqu’au début de 1940. Gardé en état de marche, elle faillit servir de nouveau lorsque le barrage de Pizançon a été bombardé en juin 1940. De temps à autre elle fonctionna pour pallier les pannes qui ne manquèrent pas les premières années de l’électrification générale.
Source: "les cahiers de l'Oule" par M. Laudet.
Remerciement pour l’accueil chaleureux et le soutien des Mottois.
Remerciement tout particulier à la famille Brugière pour leur confiance accordée dans ce projet.